Bertrand Piccard : un réaliste au service de la cause environnementale

Vous connaissez sans doute — peut-être sans le savoir — Bertrand Piccard (site officiel). Il est entre autre le concepteur du projet Solar Impulse, cet avion solaire avec lequel il a fait le tour du monde. Il revient aujourd’hui via sa fondation pour apporter des solutions concrètes, opérationnelles fasse aux défis du changement climatique et plus largement de la planète.

Loin d’être dogmatique, Bertrand Piccard part du principe que notre humanité a besoin désormais de propositions simples, opérationnelles, concrètes, en un mot : réalistes. Au final trop souvent on se focalise sur les problèmes mais à ne parler que de ces derniers — alors qu’ils sont bien connus — on cultive l’inertie :

[…] les mises en garde habituelles sur les changements climatiques n’aboutissent pas à grand-chose. Il s’agit d’une rengaine qu’on entend depuis des décennies. A force de répéter la liste des problèmes colossaux à l’échelle mondiale, sans mentionner les solutions, on aboutit à la paralysie. On déprime les gens, qui se disent que cela ne sert plus à rien de tenter quoi que ce soit à leur niveau, tant la catastrophe est globale et inévitable.

Le but du livre de Bertrand Piccard est d’apporter des solutions, en prenant en compte la réalité de la situation mais aussi de comment fonctionne l’homme pour « Sortir du dilemme actuel entre décroissance menant au chaos social et consumérisme effréné conduisant au désastre écologique« 

Une méthode et 1000 solutions

1) La genèse du projet et des 1000 solutions

Invité pas les Etats à prendre la parole lors de la COP22 et sentant que le politique avait besoin de concret pour se projeter … il fit l’engagement un peu fou de revenir vers les Etats avec 1000 propositions concrètes, simples, efficaces et acceptables. En parallèle, Bertrand Piccard a estimé qu’il fallait sans doute aussi poser une méthode.

Son nouveau livre « Réaliste, soyons logiques autant qu’écologiques » explique justement cette démarche sans dresser pour autant un inventaire à la Prévert de ces 1000 solutions, ce n’est pas l’objet du livre. Bien que comportant moult exemples, on renverra au site de la Fondation Solar Impulse pour prendre connaissance des ces propositions concrètes (elle en recense 1334 en janvier 2022 et le nombre de solutions labelisées par la fondation augmente chaque semaine).

Notons que ces propositions n’ont rien à voir avec un programme politique vague, il s’agit à chaque fois de solutions techniques, produits, rentables et validées par des experts indépendants :

Il existe des solutions logiques plus qu’écologiques, qui peuvent créer des emplois et générer du profit tout en réduisant les émissions polluantes et en préservant les ressources naturelles.

Toutes ces solutions sont disponibles via un outil en ligne et s’adresse aussi bien aux particuliers qu’aux professionnels ou politiques.

2) L’approche réaliste … Une réflexion affinée par 3 générations

L’intérêt du livre est d’expliquer sa démarche et pour ce faire il convient de se pencher un peu sur son histoire. De manière assez touchante Bertrand Piccard rappelle le cadre familial : avant lui, Auguste Piccard, son grand-père, aura révolutionné des pans entiers de la recherche au point d’inspirer à Hergé la personnalité du Professeur Tournesol.

Son père, Jacques Piccard, ne sera pas en reste, en tant que membre du club de Rome, il alerta déjà en son temps sur le climat et fera beaucoup avancé la connaissance du monde marin, il avait fait une fondation pour le climat mais qui n’aboutira pas aux résultats escomptés.

Bertrand quant à lui croira échapper à cela en devant médecin psychiatre, espérant échapper peut-être à ce cadre sans doute pesant pour un jeune homme … pour finalement tomber dedans assez vite, c’est un Piccard, on ne se refait pas.

Sortir de la paralysie grace à une approche réaliste, pragmatique, qui ne fait pas abstraction de l’homme et ses ressorts

Sans doute cette connaissance de l’âme humaine était la dernière pièce à compléter des travaux de ses ainés puisque cela lui a permis de constater plusieurs choses (que j’essaye maladroitement de synthétiser) :

1) Comprendre que le rejet du changement est normal

Bertrand Piccard constate que souvent l’être humain a des formes de résistances au changement, comme le dit Bertrand Piccard dans son livre :

« Quand on pense que quelque chose est impossible, on a un filtre psychique qui ne laisse passer que ce qui renforce nos a prioris »

C’est ce qui fait qu’une industrie, un groupe a du mal a accepter la remise en cause de ses modèles. C’était flagrant lorsqu’il voulut mettre en place l’avion Solar Impulse, le monde de l’aéronautique estimait qu’un avion solaire et à batteries ne pourrait jamais voler. C’est au final en s’appuyant sur des ingénieurs d’un autre monde que l’aéronautique que les solutions furent trouvées. Ce n’est pas un hasard du reste, pour l’auteur, si bien des évolutions technologiques ne sont pas venues du sérail, c’est finalement propre à l’humain. Comme il le dit ce n’est pas un fabriquant de bougies qui a inventé l’ampoule.

2) On va plus loin en faisant des concessions

Pour avancer sur un grand projet comme la cause environnementale il faut fédérer hors par nature tout sujet d’importance génère des positions ultra … qui sont souvent la position de puristes, plus avancés que les autres sans doutes, mais qui au final peuvent sur la durée desservir la cause défendue au final, les luttes partisanes se font souvent au détriment du but collectif à atteindre.

Pour sortir de la paralysie il faut sortir de ces approches. Là encore Bertrand Piccard apporte moult exemples mais c’est peut être cette citation, issue de la conclusion de l’ouvrage (mais on peut se le permettre, il est moins grave de révéler la fin de l’ouvrage ici que dans un bon polar … même si je trouve que le livre ici se dévore tout aussi bien) :

Lors d’un débat [avec quelqu’un qui adoptait une position « Intégriste »] j’ai dit un jour  » Vous essayez d’arriver à tout avec le grand risque de n’arriver à rien. Moi, j’essaie peut-être de n’atteindre que la moitié, mais je pense y parvenir »

Des choix de sociétés acceptables par tous sont plus efficients — on y revient — que des restrictions clivantes. Il faut fédérer autour d’une approche concrète. C’est peut-être la seule manière qu’il nous reste de sortir notre civilisation de l’impasse dans laquelle elle s’est fourvoyée.

3) On ne peut avancer que si on se projète et se retrouve dans les solutions

La majorité des personnes qui ne sont pas aux premières lignes (comprendre ici qui ne sont pas militants, pas scientifiques, …) ont besoin de solutions qui leurs parlent et qui ne soient pas mortifères.

Si on propose aux personnes de faire des efforts sans contrepartie rien ne peut aboutir. Si on explique aux personnes qu’elles gagneraient a changer un smartphone moins souvent mais pour du plus qualitatif, qui casse moins la donnée est autre. Bertrand Piccard rappelle ainsi ce besoin propre à l’homme de pouvoir s’identifier, se retrouver, d’avoir le sentiment d’y gagner quelque chose.

Loin d’opposer citoyens, entreprises et politiques, Bertrand Piccard nous explique que les ressorts au final seront les mêmes. Pour faire évoluer un industriel, le monde capitaliste, etc. dans ses pratiques ça sera la même chose : pour qu’une activité se réforme dans des méthodes plus vertueuse, les montrer du doigt ne suffit pas, il faut présenter des solutions et être en mesure d’expliquer en quoi cela sera bénéfique pour leur activité pour créer une concurrence positive. Une entreprise comme tout à chacun cherche à se développer, si c’est son intérêt de le faire de manière durable, elle le fera.

Vers une croissance qualitative

C’est pourquoi pour Bertrand Piccard un programme axé que sur la décroissance serait voué à l’échec, tout comme le leurre d’une technologie future inconnue qui nous sauverait doit être évité. Il propose ainsi « une croissance qualitative », vertueuse. C’est le pari que nous avions fait (avec moins de panache et de talent que Bertrand Piccard) aussi en lançant ce site, celui d’une voie médiane qui permet d’aller plus loin.

Pour Bertrand Piccard, cette croissance qualitative est possible, basée sur l’économie circulaire, et l’approche est très convaincante.

Cet ouvrage est véritablement intelligent, très agréable à lire. Il n’est pas là pour nous convaincre une énième fois de l’urgence climatique : on le sait. En revanche il apporte au lecteur ce qui manque encore trop souvent dans les ouvrages :

  • un discours motivant et non un énième discours développant cette eco-anxiété paralysante
  • une vision d’un futur possible dans lequel on a envie de se projeter et pour lequel on a envie de se mobiliser
  • sans tomber dans l’excès de confiance qui voudrait croire qu’une science qu’on ne connait pas viendra a point nommé nous sauver, ni nous faire croire que la solution est de revenir dans le passé.

Réaliste, pragmatique, logique, nous ne pouvons que recommander ce livre dont les droits d’auteurs seront reversés à la Fondation Solar Impulse et laisserons le mot de la fin à Bertrand Piccard :

Photographie du livre issue du site de Bertrand Piccard.