Concilier « business » et conscience environnementale

Accusé de tous les maux, le capitalisme est présenté par certains comme vivant ses derniers jours. Pour d’autres le secteur privé des entreprises est perçu comme une solution en réponse à l’inertie des Etats. Entre une indispensable décroissance et une nécessaire croissance verte : un chemin est à tracer.

On s’inscrira ici dans la lignée de Bertrand Piccard (entre autres) dont on a déjà parlé en partant du principe que le progrès environnemental se fait en cherchant la voie pragmatique du milieu : en mettant de côté tout excès mortifère, et les mensonges d’un certain greenwashing.

Il y a toujours des têtes de c… brebis gal… égarés. Mais nombre d’entreprises, d’acteurs économiques et chefs d’entreprises veulent faire avancer les choses : après tout, eux aussi sont parents, pourquoi croire qu’ils ne veulent pas donner une planète saine à leurs descendants. Pour les patrons les plus fortunés, à cela s’ajoute le syndrome probablement du messie « je vais sauver l’humanité » et c’est tant mieux, ou encore la peur d’avoir un mauvais karma.

Plus simplement, puisque la société veut protéger l’environnement, nombre d’entreprises se disent que c’est donc bon pour les affaires d’être vraiment vert, tout simplement. Peu importe la motivation finalement si les effets sont bénéfiques. Mais comment s’y prendre si on veut sincèrement avoir un business plus éco-responsable ?

Technique 1 : produire mieux et de manière différente

Une première technique bien entendu peut consister à produire mieux (et moins). Sur ce point, il peut s’agir bien entendu de mieux concevoir les produits, arrêter de produire du jetable. On peut s’effrayer du fait que certains produits sont de plus en plus chers, mais en grande partir cette extension des prix est aussi le reflet de l’extension de la durée de certains produits. Il y a encore quelques années, il était usuel de changer — encouragés par des prix bas et sponsorisés — son téléphone tous les ans, tous les 2 ans. Les batteries n’étaient plus remplaçables. Désormais, les entreprises se sont adaptées, la durée de vie d’un téléphone a au moins doublé et les fabricants proposent des programmes de remplacement de la batterie.

A moins d’être allergiques à Youtube, vous avez sans doute vu les publicités de la société Asphalte. Nous ne nous prononcerons pas sur leurs vêtements (faute de les avoir essayés pour l’instant), mais cette société, partant du constat — et c’est vrai — que l’industrie du textile produit trop et essentiellement que des produits pour ainsi dire « jetables », il convenait de revoir le modèle en proposant des produits plus durables et quasi à la demande pour ne pas rester sur des invendus massifs. C’est pourquoi ils fonctionnent sur un système de précommande pour évaluer le besoin et limiter la production.

C’est aussi revenir même dans cette industrie du textile sur du local. On oublie souvent que la France par exemple est un producteur de lin. Il est dommage de ne pas aller de plus en plus sur ce tissus et de la production plus locale.

C’est enfin être conscient de l’impact de son activité et d’essayer d’en réduire les effets. C’est le choix par exemple de la société Peak Design, qui outre le fait d’essayer évidemment d’avoir une réflexion saine sur les matériaux employés a décidé d’avoir toutes ses opérations neutres en carbone et se fait certifier en ce sens par climateneutral.

Technique 2 : proposer un autre modèle de consommation

Un « joueur » de jeux vidéos est désormais exposé à un cruel choix : doit-il vraiment renouveler tous les deux ans de la dernière carte graphique ultra puissante qu’il n’utilisera qu’une partie de son temps, ou prendre un abonnement dans le cloud pour jouer sur du matériel puissant, mais partagé. Des sociétés comme NVIDIA (grand producteur de cartes graphiques) tout en commercialisant toujours ses cartes graphiques ont développé une offre de cloud gaming ou même un vieil ordinateur accède finalement à une image de qualité calculée à distance. Des sociétés comme Shadow vont même plus loin en proposant un ordinateur virtuel.

Des marques automobiles commencent à proposer des évolutions (mises à jour matériel) de leurs produits. Il y a encore beaucoup de travail il est vrai de ce côté et la crise des composants n’aide pas mais c’est un classique de l’aéronautique par exemple : un airbus par exemple connaîtra dans sa vie plusieurs mises à jour matérielles. Pourquoi, là encore, changer de voiture si on peut la faire évoluer ? Mais ces mêmes marques glissent peu à peu aussi sur un modèle différent. On l’oublie souvent, mais le modèle de Tesla n’est pas nécessairement à terme de vendre des voitures, mais de faire rouler une flotte de véhicules autonomes, que les personnes se partageraient.

Technique 3 : repenser le modèle d’entreprise

Mais le modèle juridique même de l’entreprise peut être repensé. C’est le choix fait par exemple par Patagonia. Son créateur a ainsi décidé plus que de s’enrichir plus de faire don des actions de son groupe « à la terre » devenue son unique actionnaire (pour reprendre l’habile communication du groupe). Son créateur, Yvon Couinard, a ainsi décidé depuis ses débuts d’artisan de chercher un modèle respectueux. Il s’agissait au départ de consacrer une part du chiffre d’affaire à des causes environnementales, de se doter d’une charte.

A un nouveau stade de sa vie, ce patron a cherché quel modèle employer. Revendre et donner l’argent de la vente aux causes environnementales ? Ceci signifiait un déchirement personnel, mais aussi de la casse sociale et détruire sans doute l’œuvre d’une vie. Rentrer en bourse ? Cela pourrait revenir au même. Ne trouvant pas de modèle adapté à ses convictions, il a décidé d’inventer son propre modèle :

Plutôt que de faire notre entrée en bourse nous avons décidé d’appliquer à la lettre notre mission d’entreprise. Plutôt que d’extraire des matériaux naturels afin d’enrichir nos investisseurs, nous utiliserons la richesse créée par Patagonia pour protéger la source de toute cette richesse.

Voilà comment cela fonctionne : 100% de nos actions avec droit de vote ont été transférées au Patagonia Purpose Trust, dont le but est de protéger les valeurs de notre société ; 100% de nos actions sans droit de vote ont été transférées au Holdfast Collective, une association à but non lucratif dont le but est de combattre la crise environnementale et de protéger la nature. Les fonds seront transférés par Patagonia : tous les ans, la somme d’argent restante après avoir effectué les investissements nécessaires à la pérennité de notre entreprise sera distribuée sous forme de dividende et financera la lutte contre la crise environnementale.

Lettre d’Yvon Chouinard

Mot de la fin : dans l’ensemble des démarches ci-dessus, bien entendu, on peut y voir une part de « marketing », et il ne faut pas être dupes, il y a de cela aussi. Mais à notre sens l’erreur est de ne voir que cela. Comme l’humain qui a été obligé de toujours s’adapter, de se réinventer pour survivre, une entreprise — qui n’est qu’une émanation de l’humain — doit s’adapter pour survivre et sa survie passe par cette économie plus verte. Gageons que celles qui ne feront que du cosmétique environnemental sont celles qui ne survivront pas justement, car leur modèle ne sera pas adapté aux enjeux de cette époque.

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